RACHID KSENTINI 1887 – 1944

RACHID KSENTINI 1887 – 1944


C’est un  monstre sacré de la culture algérienne dont  le plus fort de la carrière s’est situé entre les  deux guerres, soit entre 1926 et 1944. Dix-huit années de dur labeur, tous azimuts, portant un message verbal au peuple algérien, un message empreint de nationalisme, de solidarité, d’union et d’identité. Le  rire  était  son   terrain  de  prédilection et son moyen d’expression. Le public le comprenait aisément et le lui rendait  admirablement car, côté succès, l’ampleur et l’engouement ne seront jamais égalés de son temps.

Rachid Ksentini , de son vrai nom Bir Lakhdar Rachid,  est  né le 11 novembre 1887, il est décédé le 3 juillet 1944 à Alger.
Son œuvre est toujours présente dans l’esprit de  ceux qui l’ont écoutée,  vue  ou appréciée, mais également de tout un  chacun qui voudrait bien le remémorer.
Cet artiste, qui a marqué  de   son  empreinte la première moitié  du  XXème siècle, a été  comédien,  auteur, compositeur,humoriste et interprète; il fut homme- orchestre et figure de proue dans  la  vie socio-culturelle de notre pays et ce, jusqu’à nos jours.

Au cours  de son enfance,  il effectue une  scolarité studieuse à l’école coranique,  sous la direction du maître Mohamed El Blidi, située à Zenqète Bouakacha, à la Casbah d’Alger, et très jeune, il décide de se lancer dans la vie socio-professionnelle.

Après un  apprentissage d’ébéniste  à 27  ans,  en 1914  à Bab El Oued,  il  va  tenter  d’élargir son champ  de connaissances. Il s’engage dans  la  marine  marchande,  curieux de  nature  et fin mélomane,  il écoutera attentivement toutes sortes de musique. De l’opéra  jusqu’aux airs  folkloriques  et  populaires  locaux. Il apprend à gratter, en amateur, sur les cordes d’une guitare qu’il avait achetée sans aucune prétention. à ce moment-là, il ne savait pas qu’un génie campait dans sa personne. Dans la marine marchande, il connaitra beaucoup de pays ainsi que leurs musiques. De toute évidence,  c’est une aventure qui va le mener à travers tous les continents: l’Europe, l’Amérique, en passant par la Chine et qui va durer douze années.

La  dernière  étape fut Paris, où il exerça comme  employé aux Galerie Lafayette.  C’est au cours de cette période qu’il aiguise ses dons d’artiste dans de petits rôles de figuration, dans le monde du spectacle parisien.

En 1925,  il décide de revenir définitivement à  Alger. Ce retour lui  sera  profitable, car il  y  trouve  une  véritable activité artistique, notamment théâtrale et musicale qui s’échafaudera autour de

Sellali  Ali dit  Allalou  (1902-1992) et Mahieddine Bachtarzi (1897 – 1986).

Ce duo prestigieux a donné naissance à  une floraison d’activités et d’artistes qui connaitront plus tard un succès immense. Fort de son expérience, en plus du talent indéniable de comédien, c’est Allalou qui lui donnera sa  première  chance, un certain 12 Avril 1926, sur la scène du Kursal d’Alger (salle démolie en 1928).

C’était la première pièce de Allalou, mais aussi la première représentation  théâtrale de l’histoire culturelle de notre pays officiellement établie. Dans cette pièce qui s’intitulait “Djeha”,  les autres rôles étaient campés par Djelloul Bachedjerah et Mahieddine Bachetarzi.

Allalou, Ksentini  et  Bachetarzi  vont  constituer  un  trio merveilleux, par lequel passeront tous les succès  artistiques  qui vont  permettre l’éclosion d’un  grand mouvement culturel, théâtral et musical en particulier.

Allalou va se retirer, en 1932,  après avoir écrit  7 pièces, en annonçant que le théâtre ne  nourrissait pas son homme.  Il avait dit,  aussi, que le  théâtre est le  père  des arts  mais que  c’est la dernière des professions. Pour le comédien d’aujourd’hui,  quelque part, le regretté Allalou n’avait pas tort.

Entre-temps Rachid Ksentini avait déjà écrit une bonne dizaine de pièces et, à cette date, au moins une centaine de chansons.

Les chiffres dénombrés à la fin de sa carrière sont de 15 pour les pièces et environ 600 pour les chansons et sketchs comiques. Les pièces les plus importantes sont chronologiquement :

Des chansons célèbres, on peut citer : Achtah Achtah Ya Loulou, DingoDingo, Mentaht El Oudjar, Qalou Qoulna, Oulid El Bled.

Des sketchs comiques les plus célèbres on peut citer par exemple:

El Fahsi and baya –  El Khoutba –  El Hadj ParisEl Hedjel ouel Hedjala  –  El Bouzeraï  and el  cordonnier  –  Hmar  ellil  – El Bouzeraï Fi tilifoun –  El  oueld  el  M’fèchèche  -, etc…

La production de ces sketchs comiques constitue une grande partie de son répertoire, au cours desquels Rachid  Ksentini interprétait, souvent, deux ou même trois personnages en changeant uniquement sa voix. Toutes   ces   œuvres   ont  été  enregistrées  entre 1929 et 1939. Rachid  Ksentini  a pratiquement inspiré  tous les artistes humoristiques  et  comiques  qui  lui  ont  su cédé. A  titre non exhaustif on peut citer : Mohamed El Kamel (1919-1953), Rouiched, Hassen El Hassani, Sid Ali dit  Fernandel, Mohamed Touri, Mohamed Ouenniche, Hilmi, DjaâferBeck et l’autre génération des Ali Kahlaoui,  Hamidouch,  Ahmed Bennaceur,  El Hadj Abderrahmane (l’Inspecteur   Tahar),  Harrag  Bensmaïn, Amar Ouhada, Kaci Tizi-Ouzou,  Krikèche, Kaci Kcentini, etc…

Toute cette pléiade d’artistes s’est inspirée, directement ou indirectement, de  la voie tracée par le maître Rachid Ksentini. Le large public se reconnaissait en son œuvre, en son théâtre et en ses chansons. C’était, en fait, son théâtre et ses chansons. Avec Rachid Ksentini et sa compagne Marie Soussan, on assistait à la naissance d’un genre nouveau, qui se  démarquait  de l’ancienne approche traditionnelle, trop rigide pour lui. Il s’y inspirait en produisant sa manière propre. Rachid Ksentini était l’homme de théâtre par excellence,  tant par sa  tenue sur scène,  que par sa  maîtrise,  son  éloquence et sa perspicacité, il savait attirer le public le plus sceptique et le plus réticent.

Très doué,  il ne lui suffisait que de peu pour faire  éclater  de  rire toute la salle.

Mahieddine Bachtarzi écrivait dans ses mémoires  (Tome I):  “Rachid Ksentini a  été le créateur du théâtre algérien, en ce sens  qu’il lui a apporté le premier une personnalité spécifiquement sienne, que par sa nature comique,  il  l’a doté d’un type qui n’était emprunté à aucun théâtre et  que le  public,  se  reconnaissant en  ce personnage, a trouvé en lui son acteur”.

Rachid Ksentini a traité de tous les sujets brûlants  de l’époque et souligné tous les sévices et mépris que subissait  le peuple algérien.

Enfant  du  peuple,  il était à  l’écoute  des  pulsations  de la société dont il était issu.  Il chantait  le chômage, l’arrogance, la mode, l’exode rural,  l’injustice, ainsi que  tous les autres maux sociaux.

Il rappelait l’identité culturelle par rapport à l’autre étranger et spoliateur  en  empruntant  la  voie  de  la  satire  et de la comédie.

C’est l’éveil de la  conscience du peuple  qui était le principal  souci de notre  artiste.  En utilisant le rire, Rachid Ksentini voulait, non seulement, le divertissement mais également un dépassement sur l’affirmation de l’existence d’une nation avec son histoire, ses caractéristiques et son identité.

La  Nation algérienne,  reconnaissante,  lui a décerné, à  titre posthume,  la médaille de l’ordre du mérite national  Athir, le 21 mai  1992,  à l’occasion d’une grande cérémonie qui a  eu  lieu au Théâtre National Algérien, débaptisé, ce jour-là, au nom de  Mahiedine Bachetarzi.

Rachid Ksentini rendit  l’âme le 3 juillet 1944  à Alger, il était âgé de 57 ans. A quelques mètres de la porte d’entrée du cimetière El Kettar où il est enterré, sur la stèle qui orne sa tombe, figure cet épitaphe :

« RACHID KSENTINI  (1887 – 1944)
Grand artiste, il amusa les foules et fit penser les hommes
réfléchis.  Poète,  chansonnier,  auteur,  acteur   comique,
il fût  le  père  du théâtre  arabe  d’Algérie.  Il   découvrit
la  laideur  du   monde,  mais  sage,   prit le parti d’en rire
pour   n’être    pas  obligé  d’en   pleurer.  Applaudi   sur
toutes les scènes, il mourut  cependant   presque inconnu 
et  pauvre. La  postérité  réserve   un  meilleur   destin à   sa   gloire. »